Les rachialgies dans le secteur de la Petite Enfance sont largement sous estimées
Par José Curraladas[i]
La Petite Enfance, un secteur professionnel à risque pour le corps de l’adulte
La Petite Enfance est un secteur où les personnels sont exposés aux risques d’accidents rachidiens. Durant une journée de travail, c’est plusieurs dizaines de fois qu’il faut soulever, porter et déposer l’enfant/charge. Jusqu’à l’acquisition de la marche, le nourrisson, puis le jeune enfant est totalement tributaire et dépendant de l’adulte et doit donc être porté et déplacé par celui-ci pendant au moins les deux premières années de sa vie. Cette situation crée une répétition de contraintes importantes sur la colonne vertébrale (rachis) de l'adulte. L’enfant doit être considéré comme une charge qui entraîne un véritable risque pour le rachis des personnels qui le soulève/ porte/dépose quotidiennement.
Dans un article de Mars 2015[3] l’INRS a étudié les risques de Troubles Musculo Squelettiques (t.m.s.) du rachis chez les assistantes maternelles. En effet, le sujet des t.m.s. chez les personnels de la petite enfance a commencé a interpeller la recherche a partir de 1993. La prévalence des lombalgies varie de 61 à 86% et les t.m.s. sont également observées aux épaules, coudes et poignets. Une étude d’une crèche hospitalière montre qu’une auxiliaire de puériculture porte en moyenne près de deux tonnes de bébés par jour pour un taux d’encadrement de 8 enfants de plus de 18 mois changés 4 fois par jour. Plus les enfants sont petits, plus le risque de lombalgie est élevé car ceux-ci sont soulevés environ 46 fois par jour (et donc reposé 46 fois...les contraintes rachidiennes sont les mêmes quand on soulève ou que l’on dépose[4]) contre une seule fois chez les 4/5 ans.
Les contraintes sur le rachis des adultes sont largement sous estimées
La médecine du travail en France considère qu’il y a risque de blessures rachidiennes à partir d’un portage d’une charge de 55 kg pour un homme et de 25 kg pour une femme. Donc, comme dans la petite enfance les tout petits ne font pas 25 kg, la médecine du travail considère que le risque est très faible, voire inexistant.
Mais ce n’est pas le port de charge qu’il faut évaluer mais la fréquence des mouvements de soulèvement, portage et dépose des enfants/charge qui vont entrainer des pressions énormes sur les derniers disques inter vertébraux (d.i.v.) lombaires. En effet, dans l’étude de l’INRS de 2015, les chiffres avancés sont largement en dessous de la réalité :
Explications :
Il est indiqué que les adultes étudiées vont soulever 46 fois un nourrisson de 3 mois avec un tonnage d’environ 644 kg au total.
1/ Si elles soulèvent un enfant 46 fois, elles le reposent donc 46 fois, donc on arrive a un total de 92 manœuvres de soulèvement/dépose. Les manoeuvres soulèvement et de dépose entrainent les mêmes contraintes rachidiennes. Les risque de blessure est exactement le même quand on soulève et que l'on dépose un enfant/charge.
1/ La charge portée, le tonnage, est estimé à 644 kg pour un enfant de 3 mois mais c’est jusqu’à l’acquisition de la marche que l’enfant/charge doit être soulevé par l’adulte et il est environ a ce moment là autour des 11 kg ou 12 kg ce qui double le tonnage.
3/ Ce n’est pas le tonnage soulevé qui est important mais la manière dont les gestes de soulèvement/ dépose sont effectués. Si l’enfant/charge est éloigné du corps les pressions sur les disques inter vertébraux (d.i.v.) lombaires sont très importantes. Pour un enfant/charge de 10kg soulevé à bout de bras, la pression sur les derniers d.i.v. lombaires peut atteindre 2 tonnes. Donc 96 fois 2 tonnes de pression par jour sur les derniers disques inter-vertébraux lombaires….
4/ Il n’y a pas que les manœuvres de soulèvement et de dépose des enfants qui entrainent des pressions importantes sue les structures de la colonne vertébrale, les manœuvres de transfert de bras à bras effectuées plusieurs dizaines de fois par jour vont également avoir des conséquences énormes en termes de pression sur les d,i,v de la région lombaire. En effet, lors des transferts des enfants entre professionnelles ou entre professionnelles et les parents, celle-ci tendent les bras et éloignent donc l’enfant/charge de leur corps de qui va entrainer des pressions très importantes. Pour un enfant/charge de 10 kg tenu a bout de bras (1m environ) cela entraine également une pression de 2 tonnes sur les derniers disques inter vertébraux lombaires…
Les femmes qui exercent ces gestes répétitifs de manipulation de charge (enfant et matériel) ne sont pas préparées culturellement au port de charges. Elles n’ont pas été éduquées, contrairement aux hommes, à soulever des charges. Elles ne savent tout simplement pas comment faire. Pratiquement aucune d’entre elles n’écartent les pieds pour être stable avant de soulever/déposer un enfant/charge et très peu ont déjà été en situation de porter une charge lourde. Or au quotidien, elles sont confrontées à la manipulation de charges autres en plus des enfants ; pack d’eau, de lait, cartons de couches, caisses de jouet, tapis et meubles, sans parler bien sur des personnels de cuisine ou d’entretien qui manipulent également de nombreuses charges lourdes.
En conclusion
Le secteur de la Petite Enfance est un secteur professionnel ou les personnels, femmes pour la majorité, sont exposées au risque de blessures rachidiennes. Ce sont plusieurs dizaines de tonne de pression sur les structures de la colonne vertébrale lombaire qui sont exercés et ce sur des agents qui vont devoir travailler jusqu’à 64/66 ans pour obtenir une retraite a taux plein. Il est donc urgent de repenser la place de l’adulte dans la petite enfance au risque de rencontrer des gros problèmes d’effectifs dans ce secteur.
[i][i] José Curraladas Kinésithérapeute, Fondateur de l’Ecole du Dos de la Petite Enfance
[1] Santé Travail : Enjeux et Actions Janvier 2017 Assurance Maladie Risques Professionnels
[2] Lombalgies en milieu professionnel : quels facteurs de risque et quelle prévention ? INSERM HAL 2017
[3] Référence santé au travail INRS Mars 2015
[4] Commentaire de l’auteur
[5] Travail et Lombalgies « du facteur de risque au facteur de soin » INRS 2018
[6] Référence santé au travail INRS Mars 2015
[7] Lombalgies en milieu professionnel : quels facteurs de risque et quelle prévention ? INSERM HAL 2017